1 Juin 2008
Il y a un phénomène assez étonnant sur Wikipédia. Peut-être qu'il existe ailleurs sur le net, je ne sais pas, je n'ai pas du tout la pratique des forums et autres lieux de « sociabilité » virtuelle. Il s'agit de ces utilisateurs qui ont quitté l'encyclopédie, souvent contraints et forcés (de par leurs contributions ou leur comportement) et qui passent leur temps à revenir, dénigrant le projet et l'ensemble des contributeurs, trouvant mille reproches à faire à Wikipédia (certains justifiés ou justifiables, d'autres non) mais n'ayant de cesse de se créer des faux-nez, de contribuer sous IP, de venir d'une manière ou d'une autre essayer d'imposer leur point de vue ou de dénigrer Wikipédia sur le site même de l'encyclopédie. Ou de dénigrer du dehors (suivez mon regard).
J'ai un peu de mal à comprendre cela. Il me semble que le monde tournait avant Wikipédia, qu'il tourne encore sans avoir besoin de sa présence et que la disparition du projet ne mettrait pas en péril la civilisation occidentale (même si ça serait une grosse déception). Alors pourquoi s'entêter à venir et revenir sur un projet qu'on dénigre ? Pourquoi s'acharner, à longueur de blog ou de forums pour certains, à dénoncer Wikipédia ?
J'ai du mal à croire que toutes ces personnes relèvent de la psychiatrie et ne soient que des êtres malades et obsessionnels. Je pense qu'au départ il s'agit de gens raisonnables, mais qui ont « pété les plombs » dans leur relation à Wikipédia. Alors qu'est-ce qui fait que certains, devenus en désaccord avec tel ou tel point du projet, le quittent sans faire de bruit et sans s'acharner contre, alors que d'autres deviennent ces « fâcheux » qu'on doit essayer de gérer au coup par coup sur Wikipédia ?
Il y a sans doute un souci d'ego là-dedans. Un désir de se faire reconnaître, même derrière un pseudo, une obsession de vouloir apporter la bonne parole, une certitude d'avoir raison. Là où ces personnes pourraient très bien créer leur site et y apporter absolument toutes les idées qu'elles veulent, elles ressentent le besoin d'être lues par d'autres et de voir leurs idées reconnues. C'est là qu'on peut voir que Wikipédia a une certaine reconnaissance.
Mais derrière cela, il y a quand même une grande vacuité : le mode de fonctionnement collaboratif est tellement poussé à son extrême que rien n'appartient au contributeur, quel qu'il soit. Ça explique sans doute une partie des départs et des incompréhensions : la sensation de se voir dépossédé de son travail et, le temps des conflits venu, de ne pas pouvoir le récupérer. J'ai vu des contributeurs très « sages » sur le point de franchir les bornes parce que, tout d'un coup, ils se rendaient compte que tout ce qu'ils faisaient ne leur appartenait pas. Cela ne veut en aucun cas dire que je reconnais la moindre légitimité aux contributions des « fâcheux » en question. Pour la plupart, je n'ai pas la compétence pour juger.
Mais c'est certainement une des raisons pour lesquelles Wikipédia, avant sans doute longtemps, ne pourra pas accueillir de grandes plumes ou des universitaires de haut niveau : il faut une dose certaine de bonne volonté et d'abnégation pour accepter de donner ainsi le meilleur de soi-même et de laisser à une communauté la possibilité de valider ou d'invalider des choses pour lesquelles on a des certitudes claires et une expertise reconnue. Je ne désespère pas, il y a déjà des personnes d'un très haut niveau qui contribuent sur Wikipédia, contrairement à ce que disent beaucoup de détracteurs mal informés (ou refusant la réalité). Mais ce sont des gens un peu à la marge (au sens positif, des gens libres), qui ne sont sans doute pas représentatifs de leur milieu. Je crois bien plus à l'apport des universitaires en tout début de carrière, qui ont encore le temps et l'énergie pour apprendre un nouveau mode de fonctionnement, ou au contraire aux jeunes retraités, qui n'ont plus rien à prouver à personne et peuvent prendre Wikipédia comme un « jeu ». C'est une raison sans doute marginale, qui passe après bien d'autres points pour lesquels Wikipédia n'est pas encore « crédible », mais je pense qu'il faut en être conscients pour comprendre et éventuellement s'adapter ponctuellement dans les relations entre contributeurs.
Je ne suis pas sûre cependant qu'il faille se lamenter du peu de spécialistes et faire tout et n'importe quoi pour les attirer. Certes, sur certains sujets l'amateurisme est patent, et il faudrait tout reprendre. Mais je crois parfois plus en l'abnégation d'un amateur éclairé et intelligent, prenant la peine de réfléchir et ayant un bagage consistant tout en restant conscient de ses faiblesses, qu'en l'ego d'un spécialiste qui imposera forcément son point de vue s'il nous fait l'immense honneur de contribuer. Le temps des intellectuels incontestables est sans doute mort, paix à son âme. Ceux qui ont envie de contribuer, quel que soit leur niveau, restent pourvu que la forme et l'esprit de leurs contributions prouvent par eux-mêmes leurs qualités.
Loin de moi l'idée d'assimiler le « fâcheux » et l'expert. Mais je pense qu'il y a, d'une part comme de l'autre, un problème d'incompatibilité profonde avec le travail collaboratif et l'humilité.